Evolution du domaine Gérard MUGNERET
Rédigé le 30 Novembre 2019 par Pascal MUGNERET
J’ai choisi ce métier de vigneron en premier lieu pour accéder à une certaine forme de liberté ‘professionnelle’. C’était aussi l’opportunité de perpétuer ce que mon arrière-grand-père Eugène, mon grand-père René et mon père Gérard avait créé puis fait vivre. Je souhaitais enfin, faire quelque chose de mes dix doigts… C’est comme cela qu’en 2005 j’ai pris la suite de mon père avec la volonté de m’inscrire dans la tradition familiale sur tous les plans. C’était au départ… Ensuite tout s’est emballé. Je me suis passionné progressivement pour toutes les thématiques liées à ce beau métier : la vigne en tout premier, l’élaboration des vins ensuite en m’appuyant toujours sur ce qui avait était fait dans le passé, la commercialisation beaucoup plus tard…
Avec le recul, le fait d’avoir compartimenté était très lié à mon mode de fonctionnement, finalement j’avais gardé des réflexes de mon ancien métier d’ingénieur. Inconsciemment, les 10 premières années m’ont permis de créer les conditions favorables à la mise en place d’une réflexion plus profonde.
Période 2005-2011 – Continuité- Cette période est marquée par mon ouverture sur l’extérieur au travers d’échanges avec de nombreux collègues aux expériences et aux visions très différentes. La perception des vins par les amateurs m’a éclairé. Je me suis également beaucoup formé auprès de spécialistes sur de nombreux sujets : modes de cultures, vie des sols, vinifications, élevages, dégustations etc… Tout cela m’a conduit à m’affranchir de certaines pratiques que je jugeais, au regard de l’avis que je m’étais forgé, inappropriées, d’où premiers changements dans la culture de la vigne : arrêt des désherbants dès 2005, des produits de synthèse en 2010. Pas de grands vins sans une culture respectueuse des sols et de la vigne. Condition nécessaire mais pas suffisante. Mise en place des préceptes de la biodynamie en 2011. En vinification c’est une approche moins systématique. Les extractions sont plus douces. Les vins sont dans la lignée de mon père dans un style assez consensuel généreux, gourmands, même si dans leur jeunesse ils peuvent être assez fermés.
Période 2012-2015 – Emancipation– Cette deuxième période est marquée par les premiers effets à la vigne des changements culturaux. Une biodynamie pratique, qui remet l’homme au milieu de ses vignes, avec un regard qui doit sans cesse se renouveler, basée sur une bonne agronomie, s’installe durablement. Le travail à la vigne se synchronise davantage sur les cycles lunaires et planétaires pour plus d’harmonie. L’utilisation des tisanes pour lutter contre les maladies cryptogamiques s’intensifie. On observe plus de souplesse dans les sols, la flore se diversifie, le port et la couleur des vignes évoluent : port érigé, diminution des symptômes de cour-noué, le vert foncé (souvent synonyme de ‘boulimie’ de la plante) laisse place à un vert clair plus apaisé témoignant d’un meilleur équilibre au niveau de l’alimentation de la plante et donc de la relation sol-plante. La résistance aux maladies est accrue. Le profil des grappes changes, les raffles sont plus longues, les baies moins serrées. L’état sanitaire des grappes est assez bon même en année compliquée comme 2013. Le tri à la vigne est renforcé, on prend le temps de bien faire. On n’hésite pas à prendre plus de vendangeurs que nécessaire. La réflexion sur le réchauffement climatique et mes goûts personnels me conduisent à vinifier avec de la vendange entière. Durant cette période c’est de l’ordre de 25-40% maximum. Je cherche à avoir moins de compacité dans les cuves conduisant à un travail plus souple en terme d’extraction et une meilleure gestion des températures c’est aussi plus de fraicheur aromatique. Au vieillissement ce type de vinification s’oriente davantage vers des notes florales que sur des notes de sous-bois, mousses et champignons. J’aime le floral. Les vins sont plus complexes, plus précis mais présentes encore une certaine rigidité.
J’ai mis presque 10ans pour savoir quel type de vin j’avais envie de faire. Je pense qu’inconsciemment je l’ai su beaucoup plus tôt car les choix fais sur ces 10 premières années étaient compatible avec cette vision de vin recherché. Je souhaite collaborer au mieux avec la Nature pour essayer de produire des vins qui vivent, qui ont une âme. Pour moi, la perfection au sens technique ne m’intéresse pas, c’est souvent une ‘beauté froide’, je suis à la recherche de vins qui racontent quelque chose et pour qu’ils puissent le faire librement il faut trouver le juste équilibre entre maîtrise et lâcher-prise et c’est là que c’est très compliqué. Un vin ne se résume pas à un cépage, un terroir et un millésime c’est aussi une interprétation. En résumé un vin n’est vivant qu’à partir du moment où la vie qui existait dans les raisins a été préservée et nourrie par ceux qui l’ont accouché
Période 2016 – … ? – Liberté – C’est un véritable un tournant. C’est la chasse aux incohérences, aux contradictions, aux carcans. Se reposer encore et toujours la question qui consiste à savoir pourquoi on fait les choses comme on les fait. Le souci du détail. Les réponses apportées doivent être circonstanciées. C’est la somme de détails qui permet, petit à petit, de se rapprocher de ses objectifs.
S’adapter au contexte climatique pour conserver un style de vin équilibré, frais, vibrant. Afin de s’adapter aux étés de plus en plus chauds et de plus en plus secs et d’une manière générale aux sauts d’humeur de plus en plus marqués de la Nature j’ai choisi l’option qui consiste à réduire les rendements pour préserver la pérennité de la plante, pouvoir récolter plus tôt avec des niveaux de concentration satisfaisants, de bon équilibres ainsi qu’une qualité aromatique axée sur la fraicheur. Les proportions de vendange entière ont également augmentés (actuellement de l’ordre de 40 à 100%), comme déjà expliqué, la vendange entière profite, selon moi, aux millésimes solaires.
En vinification comme tout au long de l’élevage l’objectif est de préserver le potentiel de vie des raisins. La vibration initiale ne peut être conservée qu’à la condition de respecter le vin à toutes les étapes de son élaboration. Donner de la liberté au vin en évitant de le contraindre. Les cycles lunaires et planétaires ont trouvé une place dans l’organisation des travaux en vinification et en élevage en cohérence avec les états du vin bien sûr. Peu de place pour la logistique tout est axé sur la logique du vin, de chaque vin (unification, mise en bouteille)! En vinification les doses de soufre sont très basses voire nulle si l’état sanitaire de la vendanges triée est très belle. Les vins ne sont plus pompés lors des soutirages d’unification notamment mais sont poussés et la gravité retrouve sa place au cours de cette opération.
La qualité de raisin que je recherche autorise la diminution des doses de sulfites. Un vin ne tient pas dans le temps s’il n’est pas équilibré au départ. Les sulfites ne sont pas un remède contre tout (oxydation, maladies du vin, pathogènes), le plus souvent il faudrait des doses très importantes pour espérer régler complètement un problème. Les effets secondaires seraient alors importants sur la qualité du vin. J’ai entamé une réflexion il y a 4 ans sur l’utilisation des sulfites. Quand, combien, de quelle manière et pour quelle raison ? Voici les questions que je me pose. Les réponses doivent être pertinentes. S’il s’agit de se sécuriser et de pouvoir dormir tranquille je ne considère pas que ce soit une bonne raison. Plus fondamentalement, de quoi le vin a-t-il besoin ? Pour répondre il faut beaucoup observer, tenter de comprendre en particulier les cycles du vin : ouverture/fermeture, épuration, reprise de bois… En cours d’élevage chaque cuvée est goûtée assemblée 1 fois par mois, plus si nécessaire.
La parcellarisation et l’individualisation des cuvées offre une pluralité c’est le cas des Vosne Romanée et des Bourgogne mais aussi une lecture plus juste dans le cas des Nuits saint Georges 1er Cru.
Un seul Vosne Romanée jusqu’en 2016 pour 2,5 ha et 9 climats… On peut se satisfaire d’un Vosne Romanée ‘moyennant’ mais on se prive de la pluralité qu’offre l’appellation. En revanche produire 9 Vosne Romanée village peut ne pas avoir de sens car tous ne présentent pas un intérêt fondamental. Pendant plus de 10 ans j’ai vinifié et élevé à part des cuvées de Vosne Romanée pour finalement toujours les unifier au dernier moment. Riche des enseignements de ces 10 premières années j’ai tranché en proposant une cuvée Vosne Romanée Quatrains, constituée de 2 climats du Nord (Ormes et Chalendins) et 3 climats du Sud (Reas, Jaquines, Croix blanches). Leur complémentarité m’avait frappé. Le Nord, très en chair sur des sols argileux profonds hydromorphes, manquant de profondeur. Le Sud plus vertical, plus maigre aussi, bonifie la cuvée à laquelle il est associé. Le résultat donne un vin croquant, frais et élégant. Les deux parcelles de Vosne Romanée ‘Aux Vigneux‘ produisent un vin harmonieux, dense, suave, aux notes d’épices et de fruits mûrs. Le centre du village avec les parcelles Pré de la folie, Colombière et Aux Communes constituent le Vosne Romanée cuvée Précolombière c’est une cohérence géographique de climats. Le vin a du caractère, sa verticalité est singulière sur ce niveau d’appellation, complexe, élégant racé.
Concernant l’appellation Bourgogne Pinot Noir alors constituée de quatre parcelles, j’avais la conviction que la parcelle ‘Les Rouges Champs’ méritait d’être vinifié à part. Située en face de la combe d’Orveaux en face du coin Sud-Est du mur du Clos Vougeot, la parcelle est située dans un cône alluvionnaire offrant des horizons supérieurs différents des sols de plaine. Les faciès de grappes sont magnifiques, les rendements naturellement bas (autour de 35hl/ha). Le vin est complexe structuré en élégance avec une belle longueur pour le niveau d’appellation.
Notre Nuits Sant Georges Les Boudots 1er Cru, dernier millésime en 2016… Résultat de la corécolte et de la covinification d’une parcelle de Aux Cras 1er Cru (27 ares) et d’une parcelle de La Richemone 1er cru (17 ares) qui se touchent. Assemblage de raison… logistique! Cet assemblage était toléré par les décrêts de 1936… Ce Boudots a toujours remporté un franc succès auprès de nos clients cependant il était fort dommage de ne pas proposer une interprétation de l’identité de chacun de ces deux climats. Aux Cras 1er Cru, structure de Nuits, nez plus vosnier, final salin. La Richemone, synthèse des opposés : puissance, densité finesse et élégance, complexité.
Pérenniser. Au niveau, tout d’abord, de la génétique de nos vignes. Nous avons la volonté farouche de conserver le plus longtemps possible nos vieilles vignes. La coplantation (remplacement pied par pied) est privilégiée à l’arrachage complet. Nous consacrons beaucoup de moyens au maintien de la diversité génétique à travers la sélection massale que nous menons depuis une petite dizaine d’années. A ce sujet notre conservatoire privé sera planté en avril 2020 sur une parcelle située dans l’enceinte du domaine et qui n’a jamais été plantée (le sol est alors vierge de nématodes, vecteur de la virose du Cour-noué). Toutes nos collections seront là et servirons de réservoir pour les plantations futures.
La pérennisation du domaine passe également par la volonté de conserver les parcelles que nous exploitons actuellement, qui ne sont pas notre propriété et qui sont susceptibles d’être vendues. Pour cette raison il est nécessaire de tenir compte de ce risque dans notre système de commercialisation.
Où s’arrête la maîtrise, où commence le lâcher prise ? La maîtrise c’est mettre en œuvre des techniques, des moyens qui permettent de donner un cadre (assez large) afin d’éviter au maximum qu’un ‘accident’ ne se produise, néanmoins le risque zéro n’existe pas et doit être intégrer dans la conduite du domaine. La maîtrise se cultive au quotidien, au fil du vécu, elle est faite de connaissances, de savoirs, d’observations, d’échanges, de rigueur, de réussites et d’échecs… De remises en question si possible dans la sérénité…
Le lâcher-prise c’est accepter de ne pas tout contrôler, c’est appréhender le moment opportun où l’on doit s’effacer et faire confiance. C’est accepter que la vigne ne soit pas complètement indemne de maladies certaines années, accepter que le vin n’aille pas exactement là où on pouvait l’attendre, accepter de se laisser surprendre. C’est faire confiance tout en portant un regard lucide et bienveillant sur ce qui était, qui es et qui sera éventuellement.
Le juste équilibre maîtrise et lâcher-prise dans notre métier (mais aussi dans notre vie) c’est en quelque sorte le Graal et il est fort probable qu’une vie ici-bas ne suffise pas à le trouver vraiment. C’est une quête, un chemin que l’on emprunte librement. Et finalement le plus important c’est d’être en chemin. Ce que je propose à nos clients c’est de cheminer ensemble. De ne jamais se satisfaire des réussites, de toujours s’interroger, de ne pas se mentir, d’aborder chaque nouveau millésime comme si c’était le premier et le dernier.
Pascal MUGNERET